Comme un chant du Haut Atlas
Ou les chevrettes sont à la fois
terrestres et marines
Un même rituel, monotone à mourir, se répète depuis
ces derniers jours de mauvais temps: premier regard du matin sur une mer
moutonneuse, petit-déjeuner au boui-boui du village de pêcheurs, discussion
éternelle avec eux, farniente sur une plage abritée et longue soirée près de la
tente avec anorak, bonnet de laine et verres de thé, les visages noyés dans les
ténèbres, rougis de quelques lueurs de lampe à pétrole…
"Chers amis, ne m’en demandez pas plus, écoutez mes histoires. Si le vent
nous est favorable, je vous réserve une rencontre inoubliable et pleine de
surprises…"
J’avais mille histoires à raconter et
particulièrement sur les mérous de Méditerranée, mais ce qui fascinait le plus
mes copains, c’était d’apprendre que vivaient dans les parages, dans des
sources, des loups d’eau douce! Devant leur étonnement et leur insistance, je
leur promettais alors de les y amener dès que la mer le permettrait, sous
réserve qu’ils gardent cet extraordinaire secret. Après une nuit
particulièrement agitée, avec force vent, nous faisant sérieusement envisager
de plier bagages et de remonter sur la côte méditerranéenne au matin
Branle-bas de combat dans une confusion extrême. Le
semi-rigide gonflé à bloc, les yeux hagards d’une semaine de privation de
pêche, nous prenons immédiatement la mer pour nous rendre sur les fameuses sources.
J’organise avec fermeté la plongée, instaurant une
règle provisoire pour ce premier contact avec les loups : tout plongeur
équipé doit attendre les autres agrippé au boudin, afin que nous fassions tous
un canard simultané dans ces résurgences.
Première apnée et premier retour en surface :
chacun exhibe un loup de 5 ou
C’est la joie. Nous avons vu toutes sortes de
poissons, daurades, loups mouchetés jamais mêlés aux bars francs, et même un
petit mérou qui détala à mon approche ; que faisait-il dans ces eaux
dessalées?
Il est assez oppressant de plonger dans ces
tourbillons ou la diffraction est forte dès les premiers mètres dans des eaux
qui se mélangent et embrouillent la vision. Mais à proximité de la source, la
visibilité redevient parfaite dans une eau cristalline qui surgit du sol en
geysers de sable et de coquillages brisés.
Une chevrette de
Quelques jours plus tard, rassasié de pêche, je
remonte sur le bateau plus tôt que mes amis. Bien installé, je contemple à
quelques distances une falaise majestueuse tombant à pic dans la mer ;
couverte d’arganiers chétifs, de genévriers et de pistachiers.
J’admire les acrobaties d’un troupeau de chèvres,
des chevrettes adorables prenant des risques incroyables pour accéder aux
touffes d’herbes rabougries. Deux cabris insouciants, moins prudents que les
autres, se bousculent et l’un d’eux fait une chute spectaculaire dans les
éboulis en heurtant violemment une pierre saillante au passage. J’approche le bateau
et le récupère; il a été tué sur le coup.
Un moment plus tard revient un premier chasseur
épuisé, traînant sa bouée chargée de poissons. Il me demande si j’ai tiré des
loups. "Oui, j’en ai fait quelques-uns et une chevrette!" "Combien de kilos?", me demande-t-il.
Sans me démonter, sûr de mon effet, je lui annonce 20 ou
Texte Bouchaib